Les programmes d’importation des États-Unis sont irréalistes : détourner les médicaments d’ordonnance vers les consommateurs américains épuiserait rapidement l’approvisionnement en médicaments au Canada
Brett J Skinner
SOMMAIRE
Résumé : L’importation de médicaments du Canada comme moyen de maîtriser ou de réduire le coût de fournir des médicaments d’ordonnance aux Américains est un enjeu politique récurrent depuis plus de 20 ans. Les écarts entre les prix réglementés au Canada et les prix déterminés par le marché aux États-Unis pour les médicaments brevetés créent une occasion d’arbitrage réglementaire par lequel les Américains achètent des médicaments d’ordonnance destinés à être vendus aux consommateurs canadiens via le réseau de grossistes et de pharmacies au Canada. Au 28 août 2024, sept États – le Colorado, la Floride, le Maine, le New Hampshire, le Nouveau-Mexique, le Texas et le Vermont – ont légiféré afin d’établir des programmes d’importation de médicaments en provenance du Canada. Cinq États – le Colorado, la Floride, le Maine, le New Hampshire et le Nouveau-Mexique – ont soumis des propositions à la FDA. En janvier 2024, la proposition de la Floride a été la première à recevoir l’approbation de la FDA. Malgré les intentions politiques de ces propositions, l’épuisement rapide de l’approvisionnement en médicaments au Canada en raison des importations américaines amènera le gouvernement fédéral à interdire l’exportation de médicaments qui étaient destinés à être vendus sur le marché canadien. Cette réalité démontre l’inutilité des efforts déployés par les Américains favorables à l’arbitrage et à la légalisation des importations de médicaments d’ordonnance en provenance du Canada. Cette étude évalue l’impact que les importations de médicaments d’ordonnance aux États-Unis auront sur l’approvisionnement canadien d’un échantillon de médicaments susceptibles d’être ciblés par les États américains, représentés par les médicaments d’ordonnance inscrits sur la liste des importations de médicaments des États du Colorado et de la Floride. L’analyse montre combien de temps il faudra pour épuiser la totalité de l’approvisionnement canadien de ces médicaments sous la forte pression de la demande des consommateurs américains.
Accréditations et affiliations des auteurs : Brett J Skinner, PhD, est le fondateur et PDG du Canadian Health Policy Institute (CHPI) et le rédacteur en chef du Canadian Health Policy Journal.
Avis de non-responsabilité : cette étude utilise des données obtenues sous licence auprès du service d’information IQVIA suivant : IQVIA MIDAS®. Droits d’auteur : IQVIA. Tous droits réservés. L’analyse, les conclusions et les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement les points de vue d’IQVIA.
Divulgation : Le financement de l’étude a été obtenu de Médicaments novateurs Canada et Pharmaceutical Research and Manufacturers of America.
Remerciements : cet article a été traduit en français par Yanick Labrie.
Statut : Évalué par les pairs. Soumis le : 10 SEP 2024 | Publié le : 28 OCT 2024
Citation : Skinner, Brett J. (2024). Les programmes d’importation des États-Unis sont irréalistes : le détournement des médicaments d’ordonnance vers les consommateurs américains épuiserait rapidement l’approvisionnement en médicaments au Canada. Canadian Health Policy, OCT 2024. https://doi.org/10.54194/KJID4264. canadianhealthpolicy.com.
ENJEU POLITIQUE
Les prix canadiens des médicaments brevetés (aussi appelés des médicaments novateurs de marque) sont réglementés par le gouvernement fédéral et sont, en moyenne, nettement inférieurs aux prix du marché américain [CEPMB 2024]. La différence de prix des médicaments entre les marchés crée une incitation économique à l’arbitrage réglementaire, par lequel les Américains importent des médicaments d’ordonnance qui étaient initialement destinés à être vendus au Canada à des patients canadiens. Cependant, l’importation liée à l’arbitrage (généralement appelée « importation ») à l’échelle commerciale n’est pas légalement autorisée aux États-Unis en raison des préoccupations de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis quant à sa capacité à garantir la sécurité et l’efficacité des produits vendus par l’intermédiaire de canaux de revente étrangers. Les récents changements de politique aux États-Unis ont approuvé des voies légales pour permettre l’importation, à des fins de revente à l’échelle commerciale, de médicaments d’ordonnance en provenance du Canada.
En 2020, le département américain de la Santé et des Services sociaux (DSSS) a mis en place le programme d’importation de la section 804 (PIS) pour faciliter les importations de médicaments sur ordonnance liés à l’arbitrage en provenance du Canada. Le 1er octobre 2020, le DSSS a publié la règle finale pour mettre en œuvre la section 804 (b-h) de la loi fédérale sur les aliments, les médicaments et les cosmétiques afin d’autoriser l’importation de certains médicaments d’ordonnance en provenance du Canada. En vertu de cette règle finale, les « États et les tribus indiennes » peuvent soumettre des propositions de programme d’importation à la FDA pour évaluation et autorisation. La règle finale exige que le promoteur démontre que son programme d’importation ne présentera aucun risque supplémentaire pour la santé et la sécurité du public et entraînera une réduction significative des coûts pour le consommateur américain [FDA 2022, DSSS 2024].
Au 28 août 2024, sept États (le Colorado, la Floride, le Maine, le New Hampshire, le Nouveau-Mexique, le Texas et le Vermont) ont adopté des lois visant à établir des programmes d’importation de médicaments. Le TABLEAU 1 montre l’état d’avancement de ces programmes. Cinq États (le Colorado, la Floride, le Maine, le New Hampshire et le Nouveau-Mexique) ont soumis des propositions à la FDA. En janvier 2024, la proposition de la Floride a été la première à recevoir l’approbation de la FDA [NCSL 2024]
TABLEAU 1. État de l’importation de médicaments sur ordonnance dans les sept États qui ont légiféré sur des programmes au 28 AOÛT 2024. | |
ÉTAT | STATUT DU PROGRAMME |
Colorado | PIS soumis à la FDA en 2022 et refusé. Soumis à nouveau en février 2024. PIS révisé soumis en AOÛT 2024. |
Floride | PIS soumis à la FDA en 2020. Autorisé par la FDA en JANVIER 2024. |
Maine | PIS soumis à la FDA en 2020. En attente d’approbation de la FDA. |
New Hampshire | PIS soumis à la FDA en 2021 et a été refusé. |
New Mexico | PIS soumis à la FDA en 2020. Renvoyé par la FDA pour carences non résolues en 2021. |
Texas | Le Texas n’a pas encore soumis de proposition PIS à la FDA. |
Vermont | Document conceptuel soumis au DSSS et au Bureau de la gestion et du budget en 2020. |
SOURCE : [NCSL] Conférence nationale des législatures des États (2024). |
MÉDICAMENTS D’ORDONNANCE ÉTUDIÉS
Cette étude évalue l’impact que les importations de médicaments d’ordonnance aux États-Unis auront sur l’approvisionnement canadien d’un échantillon de médicaments susceptibles d’être ciblés par les États américains, représentés par les médicaments d’ordonnance inscrits sur la liste des importations de médicaments des États du Colorado et de la Floride. L’analyse montre combien de temps il faudra pour épuiser la totalité de l’approvisionnement canadien de ces médicaments sous la forte pression de la demande des consommateurs américains.
Les médicaments d’ordonnance répertoriés dans le cadre des plans d’importation des États du Colorado et de la Floride ont été identifiés à partir des documents de proposition soumis par chaque État à la FDA [Floride 20 OCT 2023, Colorado 07 FÉV 2024].
Les données trimestrielles MIDAS d’IQVIA sur la valeur (en USD) et le volume des ventes pharmaceutiques (en unités standard) pour 27 marques au cours de la période de janvier à décembre 2023 ont été utilisées pour cette étude. IQVIA MIDAS est un service d’information exclusif d’IQVIA qui intègre les audits nationaux d’IQVIA dans une vue cohérente du marché pharmaceutique mondial et fournit des estimations du volume des médicaments enregistrés, des tendances et des parts de marché via les canaux de vente au gros et au détail.
Les données étaient disponibles par définition équivalente au niveau national au Canada et aux États-Unis. Les données au niveau des États ne sont pas disponibles dans les données MIDAS d’IQVIA. Tous les médicaments étudiés ont été autorisés à la commercialisation par Santé Canada avant 2023 et l’étude suppose que les volumes reflètent une année complète de ventes entre le 1er janvier et 31 décembre 2023.
TABLEAU 2. Nombre de médicaments d’ordonnance figurant sur la liste des propositions d’importation de l’État de Floride et du Colorado. | |
STATUT | NOMBRE DE MÉDICAMENTS DE MARQUE |
Répertorié au Colorado | 18 |
Répertorié en Floride | 14 |
Totalement distinct | 27 |
Commun aux 2 États | 5 |
Exclusif à un état | 22 |
SOURCES : L’État de Floride ; Le Département de la politique et du financement des soins de santé du Colorado. |
Le TABLEAU 2 présente le nombre de médicaments d’ordonnance identifiés pour l’importation. Au Colorado, le gouvernement de l’État a approuvé 18 médicaments de marque dans 24 dosages. Les chiffres correspondants pour la Floride étaient de 14 médicaments de marque dans 24 dosages. En combinant les listes des deux États, on a dénombré 27 médicaments de marque distincts, cinq médicaments communs aux deux listes et 22 médicaments exclusifs à l’un ou l’autre État.
TABLEAU 3. Comparaison de population, 1er juillet 2023. | ||
JURIDICTION | POPULATION | POURCENTAGE DES É.U. |
États-Unis | 334 914 895 | 100,0% |
Floride | 22 610 726 | 6,8% |
Colorado | 5 877 610 | 1,8% |
Maine | 1 395 722 | 0,4% |
New Hampshire | 1 402 054 | 0,4% |
New Mexico | 2 114 371 | 0,6% |
Texas | 30 503 301 | 9,1% |
Vermont | 647 464 | 0,2% |
7 États au total | 64 551 248 | 19,3% |
Canada | 40 097 761 | 12,0% |
SOURCES : Bureau du recensement des États-Unis; Statistique Canada. |
TAILLE DU MARCHÉ
Les données démographiques actuelles (1er juillet 2023) de Statistique Canada (échelle nationale) ont été utilisées pour calculer et comparer la taille des marchés américain et canadien. Le TABLEAU 3 résume les données démographiques au pour les sept États qui ont légiféré leur intention d’établir un PIS, et au niveau national pour les États-Unis et le Canada.
La population de la Floride s’établissait à 22,6 millions de personnes en 2023, soit 6,8 % de la population totale des États-Unis, qui compte près de 335 millions d’habitants. Les chiffres de population correspondants pour le Colorado étaient de 5,9 millions, soit 1,8 % de la population nationale, le Maine et le New Hampshire de 1,4 million (0,4 %) chacun, le Nouveau-Mexique de 2,1 millions (0,6 %), le Texas de 30,5 millions (9,1 %) et le Vermont de 0,6 million (0,2 %). Les populations combinées de ces sept États totalisent près de 65 millions de personnes, soit 19,3 % de la population nationale américaine. En comparaison, le Canada comptait près de 41 millions d’habitants, soit 12 % de la population des États-Unis.
La population des sept États dépasse de 62 % celle du Canada. À l’échelle nationale, les consommateurs américains sont huit fois plus nombreux que les consommateurs canadiens.
Le TABLEAU 4 présente les médicaments répertoriés pour les programmes d’importation des États du Colorado et de la Floride. Pour chacun des 27 médicaments, des données sur la quantité d’unités posologiques standard vendues au Canada, aux États-Unis et des estimations pour les sept États sont présentées. Deux des 27 médicaments répertoriés (RAVICTI et TRIKAFTA) n’ont enregistré aucune vente au Canada en 2023 et ont donc été jugés non disponibles au Canada pendant l’étude. Les volumes de vente en 2023 sont présentés en milliers d’unités standard.
Au Canada, les volumes vendus en 2023 s’échelonnaient entre 17 000 unités posologiques standard pour le médicament de marque SYMTUZA et plus de 124 millions d’unités posologiques standard pour JANUVIA. Aux États-Unis, les volumes correspondants étaient de plus de 10 millions pour SYMTUZA et de plus de 364 millions pour JANUVIA.
ÉPUISEMENT RAPIDE DE L’APPROVISIONNEMENT EN MÉDICAMENTS AU CANADA
Pour illustrer l’ampleur de la menace que représentent les politiques de réimportation de médicaments aux États-Unis pour l’approvisionnement sécuritaire en médicaments au Canada, nous avons appliqué le poids national total de la demande potentielle de ces médicaments de la part des consommateurs américains. L’analyse suppose que la demande quotidienne des Américains pour des médicaments d’origine canadienne est pondérée de manière égale par rapport à la moyenne quotidienne. On s’attendrait normalement à ce que les ventes aux consommateurs fluctuent quotidiennement. L’analyse exclut la demande canadienne concurrente, car la prime de prix payée par les acheteurs américains inciterait les détaillants et les grossistes canadiens à détourner la totalité de l’offre de médicaments.
Le TABLEAU 4 présente les calculs pour le nombre de jours nécessaires afin d’épuiser l’inventaire canadien des 27 médicaments de marque identifiés dans les plans d’importation des États du Colorado et de la Floride. Les résultats globaux ont montré que le nombre de jours nécessaires pour épuiser l’inventaire canadien normal des 25 médicaments disponibles au Canada variait d’un jour pour SYMTUZA à 219 jours pour OZEMPIC.
Si les 50 États avaient mis en œuvre un programme (en date du 1er janvier 2023) pour importer les mêmes 27 médicaments brevetés figurant dans les plans d’importation des États de Floride et du Colorado, 72 % (18 des 25 médicaments disponibles au Canada) seraient épuisés en deux mois ou moins. Environ 40 % (10) seraient épuisés en 2,5 semaines ou moins. En moyenne, pour l’ensemble des 25 médicaments, l’approvisionnement de ces médicaments serait épuisé en 57 jours. Les résultats sont illustrés dans le GRAPHIQUE 1.
RÉPONSE DES FABRICANTS
La justification des programmes d’importation des États repose sur une fausse hypothèse selon laquelle les fabricants augmenteront passivement l’offre sur le marché canadien pour répondre à la demande liée à l’arbitrage des consommateurs américains. Les fabricants estiment la demande potentielle de leurs produits avant de les lancer sur un marché, et les données sur les ventes après la commercialisation fournissent des tendances historiques. Les augmentations de la demande pour leurs produits qui s’écartent considérablement des normes canadiennes seraient rapidement identifiées comme des importations de médicaments liées à l’arbitrage. Les fabricants individuels limiteraient probablement l’offre de leurs produits pour correspondre à leurs estimations de la demande canadienne, car l’arbitrage compromet la différenciation des prix internationaux. Le détournement de l’approvisionnement en médicaments canadiens vers les Américains par le biais de l’importation entraînerait donc des pénuries équivalentes pour les patients canadiens.
RÉPONSE POLITIQUE CANADIENNE
Les partisans des programmes d’importation par les États n’ont pas non plus tenu compte de la réponse politique canadienne. L’épuisement rapide de l’approvisionnement en médicaments canadiens en raison des importations de médicaments d’ordonnance provenant des États-Unis, qui sont le résultat d’un arbitrage, forcera les gouvernements canadiens à interdire l’exportation de médicaments initialement destinés au marché canadien et à agir de manière préventive pour empêcher que les événements n’aillent plus vite que le processus législatif ou réglementaire ne puisse réagir.
TABLEAU 4. Unités posologiques standard vendues en 2023 [n X 1 000] ; Nombre de jours pour épuiser l’inventaire canadiens | |||
MÉDICAMENT DE MARQUE | CANADA | ÉTATS-UNIS | JOURS POUR ÉPUISER
L’INVENTAIRE CANADIEN |
BIKTARVY | 7 596 | 117 519 | 24 |
DESCOVIE | 2 129 | 60 763 | 13 |
DOVATO | 1 795 | 19 276 | 34 |
ÉLIQUIS | 4 768 | 487 624 | 4 |
ERLEADA | 5 938 | 10 750 | 202 |
GENVOYA | 1 140 | 20 354 | 20 |
IBRANCE | 976 | 5 710 | 62 |
JANUMET | 90 299 | 216 739 | 152 |
JANUVIE | 124 009 | 364 044 | 124 |
JULUCA | 238 | 7 436 | 12 |
ODEFSEY | 473 | 12 604 | 14 |
OTEZLA | 1 531 | 57 858 | 10 |
OZEMPIQUE | 8 633 | 14 393 | 219 |
PREZCOBIX | 1 829 | 39 110 | 17 |
PRIX | 558 | 6 725 | 30 |
RAVICTIS | non disponible | 35 | non disponible |
REXULTI | 12 897 | 40 394 | 117 |
RINVOQ | 3 522 | 19 297 | 67 |
SPIRIVA | 73 847 | 148 176 | 182 |
SPRYCEL | 230 | 2 652 | 32 |
SYMTUZA | 17 | 10 027 | 1 |
TIVICAY | 1 093 | 23 769 | 17 |
TRIKAFTA | non disponible | 284 | non disponible |
TRIUMEQ | 2 435 | 17 103 | 52 |
VICTOZA | 411 | 8 901 | 17 |
VRAYLAR | 918 | 81 792 | 4 |
XTANDI | 6 236 | 18 503 | 123 |
Source : Analyse de l’auteur basée sur les données trimestrielles de ventes en volume d’IQVIA MIDAS® pour l’année civile 2023, reflétant les estimations de l’activité dans le monde réel. Droit d’auteur IQVIA. Tous droits réservés. |
En effet, en réponse à l’approbation par la FDA du plan d’importation de médicaments de la Floride, Santé Canada a publié une déclaration clarifiant la politique du gouvernement du Canada.
Citation paraphrasée du communiqué de presse du gouvernement du Canada de janvier 2024 :
« Le gouvernement du Canada prend toutes les mesures nécessaires pour protéger l’approvisionnement en médicaments et garantir aux Canadiens l’accès aux médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin… Des règlements ont été mis en œuvre en vertu de la Loi sur les aliments et drogues afin d’interdire la vente de certains médicaments destinés au marché canadien en vue de leur consommation à l’étranger si cette vente risque de provoquer ou d’aggraver une pénurie de médicaments au Canada. Cela inclut tous les médicaments éligibles à l’importation en vrac aux États-Unis, y compris ceux identifiés dans le plan d’importation en vrac de la Floride ou dans tout autre programme d’importation futur d’un État américain. Santé Canada surveille activement l’approvisionnement en médicaments au Canada et continue de veiller à ce que les Canadiens aient accès aux médicaments dont ils ont besoin. Le ministère a informé les parties réglementées des obligations qui leur incombent en vertu de la réglementation canadienne, notamment l’obligation de ne pas distribuer un médicament à une autre personne en vue de sa consommation ou de son utilisation à l’étranger, sauf si la personne titulaire de la licence a des motifs raisonnables de croire que la distribution ne causera pas ou n’aggravera pas une pénurie du médicament au Canada et qu’elle a conservé des dossiers détaillés des informations sur lesquelles elle s’est appuyée pour prendre cette décision. Le ministère n’hésitera pas à prendre des mesures immédiates pour remédier au non-respect des règles, qu’il s’agisse de demander un plan de mesures correctives, d’émettre un avis public ou d’autres formes de communication, ou encore de prendre des mesures à l’égard des licences des parties réglementées qui contreviennent à l’interdiction d’exporter, si cela est justifié. » [Santé Canada 2024]
ÉROSION DES ÉCONOMIES DE PRIX DANS LA CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT
L’arbitrage réglementaire repose sur une autre fausse prémisse selon laquelle les acheteurs américains paieraient les mêmes prix que les acheteurs canadiens, étant donné que les prix des médicaments brevetés sont plafonnés par la réglementation au Canada. Sous la demande associée aux programmes d’importation des États, l’écart de prix entre les produits pharmaceutiques canadiens et américains disparaîtrait en grande partie. Les majorations de prix imposées par les acteurs de la chaîne d’approvisionnement éroderaient les économies attendues. Cela s’explique par l’absence de contrôle réglementaire des prix de vente des fabricants, des grossistes ou des pharmacies de détail canadiens aux acheteurs américains.
Le gouvernement canadien ne réglemente que les prix plafonds des médicaments d’ordonnance protégés par un brevet actif, et la cible de la réglementation est le prix de liste du fabricant. Le Canada ne réglemente pas les marges bénéficiaires des grossistes ni des pharmacies. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux imposent des plafonds aux marges bénéficiaires et aux honoraires professionnels des pharmacies sur les ordonnances remboursées par les régimes publics d’assurance médicaments dans leurs juridictions respectives, mais les marges bénéficiaires et les honoraires sont assujettis aux prix du marché sur les ventes privées.
De plus, les contrôles de prix au Canada ne s’appliquent qu’aux transactions intérieures, c’est-à-dire aux ordonnances vendues aux Canadiens au Canada. Aucune loi ou réglementation n’empêche la fixation des prix du marché sur les exportations, les ventes en gros ou au détail, ou les honoraires d’exécution d’ordonnance en pharmacie relatifs aux ventes à des acheteurs non canadiens ou aux ventes de produits d’origine canadienne lorsque la transaction a lieu à l’extérieur du Canada.
En réalité, il est presque certain que les Américains se verraient facturer des prix légèrement inférieurs aux prix américains, mais largement supérieurs aux prix réglementés canadiens. Les prix payés par les importateurs doivent être supérieurs au plafond des prix réglementés canadiens pour inciter les grossistes et les pharmacies canadiennes à donner la priorité aux ventes faites aux Américains. La recherche du profit inciterait les fournisseurs canadiens à accaparer la plus grande part de la différence de prix que le marché pourrait supporter.
CONCLUSION
Les résultats de l’étude concordent avec ceux de recherches antérieures [Shepherd 2010, 2018, 2019; Skinner 2019]. Il n’est pas possible d’approvisionner les Américains en médicaments d’ordonnance par le biais d’importations liées à l’arbitrage en provenance du Canada. À l’échelle nationale, les consommateurs américains sont plus nombreux que les consommateurs canadiens dans une proportion de plus de 8 pour 1. Dans un scénario hypothétique pour 2023, la demande américaine épuiserait l’inventaire canadien des médicaments considérés dans cette étude en 57 jours en moyenne.
Les fabricants ne fourniront pas un surprovisionnement au marché canadien pour faire face aux importations liées à l’arbitrage. Le gouvernement canadien a déclaré qu’il prendrait toutes les mesures, y compris l’interdiction des exportations, en réponse aux importations américaines. Même en l’absence de contre-mesures de la part des fabricants et du gouvernement canadien, il est très peu probable que les programmes d’importation des États puissent générer les économies importantes pour les consommateurs requises par la FDA pour l’approbation de leurs programmes en raison de l’érosion des écarts de prix à travers la chaîne d’approvisionnement.
Les partisans des programmes d’importations étatiques se fondent sur l’idée erronée selon laquelle les compagnies pharmaceutiques pratiquent des prix abusifs sur les consommateurs américains. La vérité est moins commode : les Américains ont tendance à payer les prix les plus élevés au monde pour les médicaments brevetés, en partie parce que d’autres pays profitent gratuitement du coût mondial de l’innovation pharmaceutique. Les contrôles des prix compromettent la répartition équitable des coûts de R-D qui serait assurée si on laissait le marché déterminer les prix. En l’absence de contrôle des prix, les prix moyens sur chaque marché s’ajusteraient naturellement pour correspondre à l’élasticité prix-revenu au niveau local, ce qui aurait pour conséquence une hausse des prix internationaux par rapport aux prix américains.
L’expérience canadienne en matière de contrôle des prix suggère fortement que le fait de « profiter gratuitement » du coût de l’innovation pharmaceutique a ses propres coûts en termes de disponibilité réduite des nouveaux médicaments. Les données montrent que deux médicaments (RAVICTI, TRIKAFTA) n’étaient pas disponibles au Canada pendant la période d’étude de 2023. Les données d’une autre étude ont montré que le Canada était un marché peu prioritaire pour le lancement de nouveaux médicaments. Le nombre de demandes de nouveaux médicaments soumises au Canada de 2018 à 2023 ne représentait que 54 % du nombre de médicaments lancés aux États-Unis pendant la même période [CHPI 2024].
Bien que certains présentent les programmes d’importation de médicaments comme une politique fondée sur le marché, ils ne sont pas compatibles avec le libre-échange et s’apparentent plus précisément à un arbitrage réglementaire induit par les contrôles de prix dans d’autres pays. Le moyen le plus efficace pour les Américains de réduire le coût des médicaments innovants est d’exiger de leurs partenaires commerciaux qu’ils suppriment les politiques contraires au libre-échange, comme la réglementation des prix.
RÉFÉRENCES
Canadian Health Policy Institute (CHPI) (2024). Waiting for new medicines in Canada, Europe, and the United States 2018-2023. Canadian Health Policy, avril 2024. ISSN 2562-9492 https://doi.org/10.54194/QQVC3893, canadianhealthpolicy.com.
Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). (2024)
Colorado (2024). The Colorado State Importation Program: Section 804 Importation Plan. The Colorado Department of Healthcare Policy and Financing (7 février 2024).
Département de la Santé et des Services Sociaux des États-Unis (DSSS) (2020). Food and Drug Administration. 21 CFR Parts 1 and 251 [Docket No. FDA-2019-N-5711] RIN 0910-AI45. Importation of Prescription Drugs. https://www.hhs.gov/sites/default/files/importation-final-rule.pdf.]
Florida (2023). The State of Florida’s Section 804 Importation Program (SIP) Proposal for the Importation of Prescription Drugs from Canada. 20 octobre 2023.
[NCSL] National Conference of State Legislatures. (2024). https://www.ncsl.org/health/state-drug-wholesale-importation-programs.
Santé Canada. (8 janvier 2024). Déclaration de Santé Canada au sujet de l’approbation de la FDA du plan de la Floride sur l’importation de médicaments en vrac.
Shepherd M. (2019). New pathways for U.S. importation threaten Canadian prescription drug supply. Canadian Health Policy, September 2019. canadianhealthpolicy.com. | Shepherd M (2018) U.S. Drug Importation: Impact on Canada’s Prescription Drug Supply. Health Econ Outcome Res Open Access 4: 146. | Shepherd M. The Effect of U.S. Pharmaceutical Drug Importation on the Canadian Pharmaceutical Supply. Canadian Pharmaceutical Journal, Vol 143, No.5, September/October 2010, 226-232.
Skinner, Brett J. (2019). Potential impact of U.S. demand on the Canadian supply of 46 prescription drugs. Canadian Health Policy, septembre 2019. canadianhealthpolicy.com.
Statistique Canada (février 2024). Tableau 17-10-0005-01 Estimations de la population au 1er juillet, selon l’âge et le sexe.
U.S. Census Bureau, Population Division (December 2023). Annual Estimates of the Resident Population for the United States, Regions, States, District of Columbia, and Puerto Rico: April 1, 2020 to July 1, 2023 (NST-EST2023-POP).
U.S. Congress. (2017). Improving Access to Affordable Prescription Drugs Act, H 1776, 115th Cong, 1st Sess (2017-1018). Affordable and Safe Prescription Drug Importation Act, H 1245, 115th Cong, 1st Sess (2017-1018). Affordable and Safe Prescription Drug Importation Act, S 469, 115th Cong, 1st Sess (2017-1018).
U.S. Food and Drug Administration (FDA). (2022). Importation of Prescription Drugs Final Rule – Questions and Answers Guidance for Industry.