Traitements d’Herceptin© à l’hôpital et en CLSC pour les patientes atteintes de cancer du sein au Québec: analyse comparative des coûts et des trajectoires de soins.
Gerald Batist, MD, CM, CQ, FRCP, FACP, FAHC*; Geneviève Faucher, MD**; Sonia Joannette, Inf.***; Yanick Labrie, M.Sc.****; Giovanna Speranza, MD***.
SOMMAIRE
À l’automne 2019, un projet pilote a été initié au Québec dans lequel 30 patientes atteintes d’un cancer du sein HER2+ ont reçu l’administration sous-cutanée (SC) d’Herceptin© dans les centres locaux de services communautaires (CLSC) plutôt que par voie intraveineuse (IV) dans les hôpitaux. Cette étude multicentrique visait à estimer tous les coûts directs et indirects des traitements contre le cancer dans les deux milieux de soins. Des entrevues semi-structurées ont été menées auprès de 30 professionnels de la santé des six établissements participant au projet pilote, soit 4 hématologues-oncologues, 2 pharmaciens hémato-oncologues, 2 techniciens en pharmacie, 16 infirmières cliniciennes et 6 membres du personnel administratif, afin de cartographier les étapes dans les trajectoires de soins des patients et estimer le temps requis pour chaque étape. Les entrevues ont eu lieu entre le 9 juin 2021 et le 16 mai 2022. Des bases de données officielles et administratives ont été utilisées pour mesurer les coûts associés à l’utilisation des ressources professionnelles, médicales et administratives dans le cadre du projet pilote. Le temps total moyen par patient pour l’administration IV d’Herceptin© a été estimé à 111,4 minutes par visite de traitement par patient à l’hôpital, contre 36,8 minutes par cycle par patient pour l’administration SC au CLSC. Le coût direct annuel par patient (excluant la médication) a été estimé à 4 211 $ à l’hôpital (IV) et à 760 $ en CLSC (SC). En intégrant le temps de travail et de loisir perdu, le coût annuel par patient grimpe à 7 270 $ à l’hôpital et à 1 775 $ en CLSC. En analysant différents scénarios sur le nombre potentiel de patients éligibles, nous avons calculé que les économies pour le gouvernement du Québec pourraient varier entre 5,4 millions de dollars et 7,2 millions de dollars annuellement pour les patients Herceptin©. Les résultats du projet pilote Herceptin© implanté dans trois CLSC du Québec démontrent que le passage du mode IV au mode SC allégerait la pression sur les équipes médicales des cliniques d’oncologie des hôpitaux, dont la capacité est actuellement saturée. En utilisant moins de professionnels de santé et de fauteuils de perfusion pour traiter le même nombre de patients en mode SC, ces ressources seraient alors disponibles pour être redéployées ailleurs dans le système de santé pour traiter d’autres patients. Cela pourrait contribuer à améliorer l’accès aux soins pour un plus grand nombre de patients Québécois.
Remerciements: n/d
Affiliations des auteurs: *CIUSSS Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal; **CISSS Des Laurentides; ***CISSS Montérégie Centre; ****Canadian Health Policy Institute.
Correspondance: Yanick Labrie ([email protected])
Citation: Batist, Gerald et al (2023). Traitements d’Herceptin® à l’hôpital et en CLSC pour les patientes atteintes de cancer du sein au Québec : analyse comparative des coûts et des trajectoires de soins. Canadian Health Policy, AVRIL 2023. https://doi.org/10.54194/ZJOY1968. www.canadianhealthpolicy.com.
Divulgation: Ce projet de recherche a reçu un soutien financier de Hoffmann-La Roche Ltd. La recherche a été menée dans un contexte de pleine et entière indépendance des chercheurs, qui restent les seuls garants des résultats de l’étude.
Journal: ISSN 2562-9492 | DOI https://doi.org/10.54194/XYCP5241
Mots clés: Canada, cancer, innovation, pharmaceutique, santé
Commanditaire libre accès: n/d
Éditeur: Canadian Health Policy Institute Inc. www.chpi.ca
Status: Révisé par les pairs.
Soumis: 28 MARS 2023. Publié: 03 MAI 2023.
INTRODUCTION
Au Canada, le cancer du sein constitue le type le plus fréquent chez la femme, représentant le quart de tous les nouveaux cas de cancer diagnostiqués en 2021. On estime qu’environ 6 900 des 28 920 femmes qui recevront un tel diagnostic au cours de la présente année seront québécoises (Société canadienne du cancer, 2022). Le nombre de nouveaux cas de cancer du sein devrait poursuive sa tendance à la hausse pour au moins les deux prochaines décennies en raison de la croissance et du vieillissement de la population (Poirier et al., 2019).
Ces cas de cancer qui augmentent représentent un lourd fardeau économique à supporter pour les citoyens et les gouvernements au Canada. Des chercheurs ont récemment estimé que le coût sociétal du cancer à l’échelle canadienne s’est élevé à 26,2 milliards $ en 2021. En ce qui concerne le cancer du sein, ces mêmes chercheurs ont estimé le coût sociétal à 2,14 milliards $ pour les Canadiens. Ce type de cancer représente le plus lourd fardeau économique au pays, après le cancer du poumon (Garaszczuk et al., 2022).
Une forme particulièrement virulente du cancer du sein, de type HER2+, se manifeste dans environ 15 à 25 % des cas (Dent et al., 2019). Le traitement des patientes qui en sont atteintes impose également des coûts importants pour les systèmes publics de santé. Des chercheurs ontariens ont notamment calculé que les patientes ayant reçu un tel diagnostic entre 2012 et 2017 ont eu recours à des traitements nécessitant des dépenses publiques totales de 680 millions $ (Brezden-Masley et al., 2021). En extrapolant à l’échelle du Canada, les coûts de ces traitements représenteraient des dépenses de santé de près de 1,8 milliard $ sur cinq ans pour les gouvernements.
Au-delà de ces dépenses, la montée des cas de cancer du sein a pour conséquence de mettre une pression accrue sur le personnel des cliniques externes d’oncologie des établissements hospitaliers au Québec, déjà utilisées à pleine capacité. Il est donc de plus en plus impératif de chercher à optimiser l’utilisation des ressources, tant humaines que matérielles, dans le réseau de la santé, tout en maintenant les mêmes standards de qualité de soins pour les patients.
REVUE DE LITTÉRATURE
Le médicament trastuzumab (Herceptin©), développé par la compagnie Hoffmann-La Roche, est un anticorps monoclonal conçu pour cibler et bloquer la fonction de la protéine HER2+. En neutralisant cette protéine, le médicament permet d’améliorer significativement le pronostic et les chances de survie des patientes souffrant de cette forme de cancer, tel que démontré dans le cadre d’études cliniques randomisées (Slamon et al. 2011; Pivot et al., 2017b). Son utilisation est courante dans de nombreux pays d’Europe, tant sous forme intraveineuse (IV) que sous-cutanée (SC), depuis son homologation par l’Agence européenne des médicaments (EMA) (Lieutenant et al., 2015; Valachis et al., 2019).
Des études cliniques ont démontré que l’efficacité et l’innocuité du médicament étaient les mêmes pour l’administration du Herceptin© sous l’une ou l’autre des deux formes, IV et SC (Ismael et al., 2012; Gligorov et al., 2017; Zambetti et al., 2017; Jackisch et al., 2019). Cependant, avec la formulation SC, les professionnels de la santé passent moins de temps à préparer et à administrer un traitement qu’avec la formulation IV. De nombreuses études observationnelles portant sur la durée de traitement et de déplacement des patients soignés à l’hôpital ont montré des gains d’efficience et des économies de temps autant pour les patients que pour les professionnels de la santé avec Herceptin© SC, comparativement à Herceptin© IV (Altini et al., 2021; Anderson et al., 2020; Burcombe et al., 2013; Farolfi et al., 2018; Favier et al., 2018; Franken et al., 2018; Hedayati et al., 2019; Jackisch et al., 2015; Lieutenant et al., 2015; Lopez-Vivanco et al., 2017; Maniakadis et al., 2017; Mitchell et Morrissey, 2019; North et al., 2019; O’Brien et al., 2019; Olofsson et al., 2016; Olsen et al., 2018; Papadmitriou et al., 2015; Pivot et al., 2017a; Tjalma et al., 2018; Valachis et al., 2019).
Dans l’une de ces études, les auteurs ont calculé que le temps d’administration moyen était de 22,6 minutes avec Herceptin© SC, comparativement à 77,8 minutes avec Herceptin© IV. Le temps de travail moyen nécessaire aux professionnels de la santé était de 5 minutes pour la préparation de la formulation SC, contre 13,9 minutes pour la formulation IV, et de 9,8 minutes pour l’administration de Herceptin© SC, contre 17,9 minutes pour l’administration de Herceptin© IV (De Cock et al., 2016).
Des chercheurs ont également démontré dans le cadre d’études cliniques que la forme sous-cutanée du Herceptin© permettait d’améliorer significativement l’expérience des patients et des professionnels de la santé. En effet, selon une récente enquête au cours de laquelle 467 patients atteints d’un cancer du sein au stade précoce ont été interrogés, la majorité (88,9 %) de ceux-ci ont préféré Herceptin© sous forme SC plutôt que sous forme IV, tout comme 77 % des 235 professionnels de la santé sondés à cet effet (Pivot et al., 2014).
LE PROJET-PILOTE HERCEPTIN© SOUS-CUTANÉ EN CLSC
Au Québec, Herceptin© est disponible pour administration sous forme IV en milieu hospitalier, puisqu’il figure sur la Liste des médicaments – Établissements. Bien qu’une nouvelle formulation par voie sous-cutanée (SC) ait été homologuée par Santé Canada en septembre 2018 et recommandée positivement par l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) en janvier 2019 pour l’inscription à la Liste des médicaments – Établissements pour le traitement adjuvant du cancer du sein (médicament d’exception), celle-ci n’est toujours pas accessible aux patients québécois[2].
Des traitements par injection SC du médicament dans trois centres locaux de services communautaires (CLSC) ont été mis à l’essai dans le cadre d’un projet pilote initié à l’automne 2019 dans trois CISSS/CIUSSS du Québec (CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, CISSS des Laurentides et CISSS de la Montérégie-Centre). Ce projet pilote devait permettre d’évaluer si cette option de traitement SC est avantageuse à la fois d’un point de vue économique pour le réseau public, en libérant de précieuses ressources, et d’un point de vue clinique pour les patientes concernées, en favorisant un meilleur accès aux soins et une amélioration de la satisfaction à l’égard des traitements.
Implanter en CLSC des services d’oncologie pour y traiter les patients atteints du cancer du sein HER2+ avec la forme SC d’Herceptin© pourrait s’avérer une option bénéfique pour le Québec, en accord avec l’un des objectifs prioritaires du gouvernement de réduire le fardeau du cancer et de favoriser l’accès aux services spécialisés. Cela fait partie des priorités mentionnées dans le plan stratégique 2019-2023 du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS, 2021).
En outre, l’option SC en milieu communautaire pourrait être bénéfique pour les patients, leur évitant des dépenses liées aux déplacements. L’hôpital se trouvant souvent plus loin du domicile des patients que le CLSC, les coûts pour s’y rendre (frais de déplacement et de stationnement) peuvent y être plus élevés. Le temps d’absence au travail ainsi que le temps en famille peuvent également être affecté négativement par ces distances accrues à parcourir et ces coûts additionnels à supporter.
La pandémie de la Covid-19 qui s’est répandue au printemps 2020 a apporté son lot de défis pour les établissements et les professionnels de la santé et rendu nécessaire la réorganisation en profondeur des soins oncologiques. Une avenue de plus en plus envisagée dans le milieu médical, notamment en Europe, implique de réduire autant que possible les visites et les admissions à l’hôpital pour les patients atteints de cancer (van de Haar, 2020). Dans ce contexte, l’administration du Herceptin© SC en milieu communautaire est susceptible de diminuer les risques d’infection et autres complications liées au système immunitaire, sans pour autant compromettre les résultats des traitements contre le cancer.
Enfin, les dépenses hospitalières sont en croissance et les établissements gagneraient à trouver des moyens d’améliorer leur efficacité et l’accès aux soins médicalement requis pour les patients (Bilodeau, Crémieux et Ouellette, 2009). Le Québec est d’ailleurs toujours aux prises avec d’importants problèmes de délais d’attente dans son réseau public de santé, qui ont été exacerbés par la pandémie de Covid-19 (ICIS, 2023; Labrie, 2023). Par conséquent, recevoir un traitement d’Herceptin© SC en CLSC plutôt que sous forme IV en établissement hospitalier pourrait libérer des ressources précieuses, permettant ainsi d’améliorer l’accès au centre d’oncologie pour d’autres patients requérant une perfusion à l’hôpital.
OBJECTIFS ET MÉTHODOLOGIE
Cette étude multicentrique réalisée en milieu hospitalier et communautaire visait deux principaux objectifs. Le premier objectif était de cartographier en détail la trajectoire de soins des patientes atteintes de cancer du sein de type HER2+ traitées avec le médicament Herceptin© sous forme intraveineuse (IV) dans trois hôpitaux du Québec participant au projet-pilote, ainsi que de celles qui le reçoivent sous forme sous-cutanée (SC) dans les centres locaux de services communautaires (CLSC) affiliés à ces établissements. Il s’agissait d’identifier chacune des tâches et activités (directes et indirectes) réalisées par le personnel des établissements de soins dans le cadre des deux parcours de soins des patients.
En second lieu, l’étude avait pour but d’estimer l’ensemble des coûts directs et indirects des traitements au Herceptin© dans les deux lieux (hôpital versus CLSC) et les deux modes d’administration. Elle visait ainsi à déterminer si le déplacement de ces traitements en milieu communautaire peut générer des gains d’efficience pour le réseau de la santé, en mobilisant moins de ressources et en réduisant les dépenses publiques.
DONNÉES ET INDICATEURS
Une approche méthodologique mixte, combinant les entrevues semi-dirigées et les bases de données administratives, a été utilisée aux fins de la présente étude[3].
Entrevues semi-dirigées : Des entretiens avec les membres du personnel ont eu lieu dans six établissements de santé, soit l’Hôpital général juif de Montréal (HGJM), l’Hôpital régional de Saint-Jérôme (HSJ), l’Hôpital Charles-Le Moyne (HCL), le CLSC de Benny Farm, le CLSC Lafontaine et le CLSC Samuel de Champlain. Afin d’éviter les déplacements dans les établissements de santé concernés, ces entrevues d’une durée approximative de 30 minutes se sont déroulées à distance par visioconférence au moyen de la plateforme TEAMS (Microsoft©).
Ces entrevues ont permis de mesurer les indicateurs suivants :
- La durée moyenne de chaque étape dans les parcours de soins des patientes lors des visites de traitement (en minutes), tant pour les patientes que pour les membres du personnel;
- La durée totale de temps passé par les patientes à l’hôpital ou au CLSC lors des visites de traitement, incluant le temps d’attente et la transition entre les diverses étapes (en minutes);
- L’étendue des ressources professionnelles, médicales et administratives requises lors des visites de traitement avec les deux modes d’administration.
Bases de données administratives et officielles : Afin de mesurer les coûts associés à l’utilisation des ressources professionnelles, médicales et administratives dans le cadre du projet-pilote, des bases de données officielles ainsi que des données administratives des établissements de santé ont été utilisées. Pour les employés du réseau de la santé, nous avons eu recours aux échelles salariales provenant du Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS). Les résultats de l’Enquête sur la rémunération globale au Québec de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) (Racila, 2021) ont été consultés pour obtenir le salaire moyen (incluant les avantages sociaux) de diverses catégories de professionnels de la santé.
Ces bases de données ont permis de mesurer les indicateurs suivants :
- Le coût des ressources professionnelles associées aux traitements d’Herceptin©;
- Le volume des fournitures médicales utilisées lors des visites de traitement ainsi que leur coût;
- L’étendue des frais d’administration, d’opération et d’entretien des équipements et bâtiments attribuables aux traitements;
- Les dépenses liées aux déplacements des patientes pour les fins de traitement (à l’hôpital et au CLSC);
- Les pertes de productivité causées par l’absence du travail ou l’incapacité de travailler lors des visites de traitement.
RÉSULTATS
Les étapes du parcours de soins des patientes ont été cartographiées et leurs durées estimées à partir des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de 30 professionnels de la santé dans les six établissements participant au projet-pilote : 4 médecins hémato-oncologues, 2 pharmaciens en hémato-oncologie, 2 assistants techniques en pharmacie, 16 infirmières cliniciennes, et 6 membres du personnel administratif. Ces entrevues se sont déroulées entre le 9 juin 2021 et le 16 mai 2022.
Comparaison des durées de traitement à l’hôpital (IV) et en CLSC (SC)
L’ensemble des tâches associées à l’administration de la chimiothérapie en mode IV et SC lors d’une visite de traitement ont été répertoriées et sont décrites en détail dans les tableaux A1 et A2 dans l’Annexe 1 du rapport.
La durée de l’ensemble des traitements au cours d’une année, comportant 18 cycles par patiente, a été estimée pour les deux modes et lieux d’administration. La durée totale d’une thérapie Herceptin© en mode IV à l’hôpital s’élève en moyenne à 2 005 minutes, contre 663 minutes en mode SC en CLSC (voir Tableau 1).
Le temps total moyen par patiente requis pour terminer chaque activité a ensuite été mesuré, puis agrégé pour chacune des formes d’administration, aux fins de comparaison. Ainsi, le temps total moyen pour la voie d’administration IV a été estimé à 111,4 minutes par visite de traitement par patiente, contre 36,8 minutes par visite par patiente en mode d’administration SC.
Ainsi, la voie d’administration SC a été associée à une réduction du temps total moyen de réaliser l’ensemble du parcours de soins pour une patiente, notamment une réduction importante du temps d’occupation d’un fauteuil lors de l’étape de l’administration du traitement (c.-à-d., la perfusion). Par rapport à l’administration IV, l’administration SC de Herceptin© a réduit de 67 % (1 heure et 15 minutes) le temps total moyen par patiente nécessaire pour effectuer toutes les activités prévues lors d’un cycle de traitement typique. Cette économie de temps d’administration est comparable à celle obtenue par Altini et al. (2021), qui utilisent une méthodologie similaire, à partir de données italiennes (1 heure et 18 minutes).
Comparaison des coûts à l’hôpital (IV) et en CLSC (SC)
Les coûts moyens rattachés aux deux modes et lieux d’administration du traitement Herceptin© pour les patientes atteintes d’un cancer du sein de type HER2+ ont été estimés en tenant compte de deux perspectives, celle du gouvernement et celle de la société au grand complet (qui incorpore les coûts indirects supportés par les patientes et leurs proches).
Perspective gouvernementale
La Figure 1 présente les résultats de l’estimation du coût moyen associé aux traitements en mode IV dans le secteur hospitalier au Québec en 2022. Ainsi, de la perspective du gouvernement (qui supporte les dépenses de tels services médicalement requis dans le réseau de la santé), il en coûte quelque 4 211$ annuellement par patient. Cette somme inclut les ressources professionnelles (infirmières et autres), les ressources matérielles et thérapeutiques (excluant le médicament mais incluant les DAVC) ainsi que les frais d’administration et de fonctionnement généraux (overheads) attribués aux traitements IV.
En comparaison, la Figure 1 montre également la valeur du coût moyen estimé d’un traitement annuel d’Herceptin© SC en CLSC au Québec. Ainsi, il en coûterait au gouvernement une somme estimée de 760$ annuellement, soit une économie de dépenses de 82 % par rapport aux traitements IV en milieu hospitalier.
Perspective sociétale
Comme le montre la Figure 2, lorsque l’on ajoute les coûts indirects, soit ceux supportés par les patients eux-mêmes et leurs proches, le coût total par patient grimpe à 7 270$ (excluant le médicament et incluant le DAVC). Ces coûts indirects concernent les frais de déplacement, de même que les coûts rattachés aux heures de travail perdues en raison des traitements requis par les patientes et leurs proches accompagnateurs.
En comparaison, le coût total moyen d’un cycle de traitements Herceptin© par voie SC en CLSC est estimé à 1 775$ par patiente annuellement, lorsqu’on l’évalue d’un point de vue de société en incorporant les pertes de temps de travail et de loisir que subissent les patients et leurs proches, de même que leurs coûts de déplacement vers le lieu de traitement.
Le coût total d’un cycle de traitements SC en CLSC est donc 76 % moins élevé annuellement que celui d’un cycle de traitements IV reçu à l’hôpital, en tenant compte de la perspective sociétale.
Une description complète des éléments pris en compte dans cette analyse, avec les sources de données utilisées, se trouve en Annexe 2 du présent rapport.
Économies de coûts pour le gouvernement
Comme l’ont montré les analyses de la section précédente, le coût total d’un traitement IV à l’hôpital est 82 % plus élevé annuellement qu’un traitement SC en milieu communautaire, lorsque l’on considère uniquement la perspective du payeur public. Il y a donc des économies potentielles à dégager pour le gouvernement du Québec à transférer ces traitements à l’extérieur du réseau hospitalier.
À l’aide des données sur le nombre estimé de patients éligibles, il a été possible d’évaluer l’ampleur des économies que le gouvernement pourrait obtenir en transférant ne serait-ce que le trois-quarts des patients nécessitant de tels traitements au Québec au cours d’une année donnée. Comme le montre la Figure 3, les économies se chiffreraient à 5,4 millions $ annuellement, selon le scénario pessimiste (1 558 patients), et à 7,2 millions $ annuellement, selon le scénario optimiste (2 077 patients). Cela représente l’équivalent de la rémunération globale de 53 à 71 infirmières à temps plein durant une année complète[4].
Outre les infirmières, il faut également noter que d’autres ressources médicales précieuses pourraient être libérées et redéployées à d’autres fins au sein des établissements hospitaliers. Notamment, il importe de tenir compte du coût de renonciation associé à l’utilisation prolongée de fauteuils de perfusion dans les hôpitaux du Québec (Sandmann et al, 2018). En libérant du temps d’occupation de fauteuils et économisant du temps de travail infirmier, il serait possible de traiter davantage de patients et améliorer potentiellement l’accès aux soins dans le réseau hospitalier québécois.
DISCUSSION ET CONCLUSION
Cette étude visait à cartographier la trajectoire de soins des patientes atteinte du cancer du sein de type HER2+ recevant des traitements Herceptin© par voie sous-cutanée en CLSC dans le cadre d’un projet-pilote initié à l’automne 2019, et de la comparer à celle des patientes traitées par voie intraveineuse (IV) à l’hôpital. L’étude avait aussi pour objectif d’estimer l’ensemble des coûts directs et indirects des traitements dans les deux parcours de soins.
La méthode utilisée s’est appuyée sur l’approche des coûts par activité (activity-based costing method), en suivant les étapes traditionnelles : cartographier les activités, calculer le coût de chaque activité et calculer le coût unitaire de chaque procédure (Mercier et Naro, 2014). Le temps moyen passé par le personnel administratif, infirmier et médical sur les activités professionnelles durant les visites de traitements a été évalué au moyen d’entretiens semi-dirigés réalisés auprès de 30 professionnels de la santé dans les six établissements participant au projet-pilote entre le 9 juin 2021 et le 16 mai 2022.
Le temps total moyen par patient pris pour terminer chaque activité a ensuite été mesuré. La voie d’administration SC est associée à une réduction du temps total moyen de réaliser l’ensemble du parcours de soins pour un patient et, surtout, du temps moyen par patient nécessaire à l’administration thérapeutique elle-même (c.-à-d., le temps d’occupation d’un fauteuil). Le temps total moyen par patient pour la voie d’administration IV a été estimé à 111,4 minutes par visite de traitement par patiente, contre 36,8 minutes par cycle par patiente en mode d’administration SC. Ainsi, par rapport à l’administration IV, l’administration SC du Herceptin© a réduit de de 67 % (1 heure et 15 minutes) le temps total moyen par patient nécessaire pour effectuer toutes les activités prévues lors d’une visite de traitement typique.
De la perspective du gouvernement, il en coûte quelque 4 211$ annuellement par patient. Cette somme inclut les ressources professionnelles (infirmières et autres), les ressources matérielles et thérapeutiques (excluant le médicament mais incluant les DAVC) ainsi que les frais d’administration et de fonctionnement généraux (overheads) attribués aux traitements IV. En comparaison, le coût moyen d’un traitement annuel d’Herceptin© SC en CLSC au Québec est estimé à 760$ annuellement, soit une économie de dépenses de 82 % par rapport au coût d’un traitement IV pour un patient en milieu hospitalier.
Les gains potentiels à réaliser par le déplacement des traitements de chimiothérapie des installations hospitalières vers les CLSC pourraient être encore plus élevés si la réglementation gouvernementale autorisait d’autres sites d’administration, qu’il s’agisse de pharmacies de quartier, de cliniques de perfusion ou du domicile des patients.
Quoi qu’il en soit, à court terme, les résultats de la présente étude montrent que le passage du mode IV au mode SC permettrait d’alléger la pression sur le personnel soignant des cliniques d’oncologie en milieu hospitalier dont la capacité est actuellement saturée. En utilisant moins de personnel soignant et de fauteuils de perfusion pour traiter le même nombre de patients avec le mode SC, ces ressources seraient alors disponibles pour être redéployées ailleurs dans le réseau afin de traiter d’autres patients.
Ainsi, le principal résultat attendu à moyen et long termes est un accès amélioré aux soins pour un plus grand nombre de patients. Cela contribue aux objectifs du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec d’augmenter la capacité de traitement en oncologie et de permettre de traiter plus de patients en temps opportun.